- MÉTASTABILITÉ
- MÉTASTABILITÉMÉTASTABILITÉ«Ce qui se manifeste , c’est aussi, en premier et le plus souvent, l’apparente stabilité des choses visibles, leur extraordinaire entêtement à demeurer en leur état» (J. T. Desanti, Natura Rerum: ordre ou désordre? ). La stabilité désigne la condition de possibilité de la réalité phénoménale. Mais signifie-t-elle pour autant la propriété essentielle de la réalité? Est-elle contingente ou nécessaire? La stabilité nous permet de prendre conscience d’une présence des choses à travers les trois régions de phénomènes que désignent les termes matière, vie et esprit. S’il n’y avait une relative stabilité des phénomènes, il n’y aurait ni univers, ni organisme, ni société, car tout système de représentation, sujet de connaissance ou état de conscience, serait impossible. La stabilité est à la base du donné comme des structures mentales. Mais, à l’inverse, la stabilité des phénomènes produit un tel effet de réalité que nous confondons cette propriété de la réalité phénoménale avec la raison d’être des choses. Leur rassurante fidélité (le soleil se lève effectivement chaque matin, les livres restent bien à leur place sur les étagères, jamais l’or ne s’est transmué en plomb dans les coffres des banques) nous laisse croire naïvement à une évidente nécessité de la survenue des phénomènes par leur seule stabilité. David Hume avait montré comment la notion de causalité provient d’un tel acte de croyance dans la régularité des phénomènes. Toutefois, ce philosophe s’était arrêté à ce constat et au scepticisme qui lui en semblait la seule conséquence philosophique possible. Il lui paraissait en effet évident, comme à tous ses contemporains, qu’il ne pouvait y avoir une science pour laquelle l’instabilité relèverait d’une autre catégorie que de celle de l’accident. Une telle idée était intrinsèquement absurde dans les cadres de la science classique. C’est précisément ce postulat, implicite au rationalisme comme à l’empirisme classiques, que la notion de métastabilité relativise.«Avec les mêmes mots, nous décrivons les mêmes objets, et ceux-ci ont pratiquement toujours les mêmes propriétés, la même apparence, la même forme, la même composition. C’est vraiment l’une des énigmes du monde où nous vivons. Et nous n’avons pas immédiatement conscience de cette énigme parce que notre esprit est organisé d’une manière telle que nous tablons sur la stabilité des choses, pour pouvoir en parler, pour les utiliser, etc. Ce qui n’empêche que, sur le plan scientifique, la stabilité des choses constitue un problème énorme!» De fait, ces lignes du mathématicien et philosophe René Thom sont symptomatiques d’un changement signifiant à l’intérieur des sciences contemporaines. Plusieurs courants de pensée ou théories provenant des domaines les plus divers, dont la portée métaphysique est encore à peine soupçonnée, remettent en chantier l’interrogation de la stabilité, par-delà les évidences reçues de la révolution galiléo-cartésienne quant à l’objectivité. On peut donner comme exemple: la théorie générale des systèmes, la théorie des catastrophes, la physique des processus irréversibles non linéaires (structures dissipatives), la Gestalttheorie , les théories de l’organisation et de l’auto-organisation, le structuralisme génétique. Malgré de très grandes divergences entre elles, toutes ces théories ont en commun de prétendre étudier les morphologies et les morphogenèses hors de l’exigence laplacienne de ramener ces réalités, par un idéal analytique, à un ordre mécanique sous-jacent aux formes naturelles où se rejoindraient idéalement nécessité et stabilité.Précisément, le terme «métastabilité» (créé, semble-t-il, par N. Wiener, Cybernetics , 1948) vient exprimer philosophiquement la portée scientifique de cette nouvelle approche de la réalité phénoménale. Physiquement, la métastabilité désigne des potentialités d’émergence d’une forme structurellement stable à partir de conditions conflictuelles d’un substrat. Mais, derrière ce sens local, opère une transformation profonde des grandes catégories philosophiques traditionnelles, intrinsèquement liée à la notion de stabilité: être et devenir, matière et forme, totalité et parties, substance et relation, essence et accident, changement et permanence, hasard et nécessité...Le texte philosophique qui a probablement le premier pris en compte cette transformation de l’intuition métaphysique de la stabilité, en en tentant une formulation, est le livre de G. Simondon intitulé L’Individu et sa genèse physico-biologique (1964). Simondon y propose une théorie générale de l’individuation (physique, biologique, psychologique) à partir de la notion de métastabilité. L’individuation « n’est pas la rencontre d’une forme et d’une matière préalables existant comme termes séparés antérieurement constitués, mais une résolution surgissant au sein d’un système métastable». Sur le plan philosophique, l’intérêt de ce livre réside dans une critique du lien métaphysique apparemment nécessaire entre les notions de substance et de stabilité, et donc réciproquement entre celles d’accident et d’instabilité. Or de ce lien procédait l’idéal d’analycité, porté par la dynamique classique et jusques et y compris les effets statistiques de la thermodynamique. Selon Simondon, les conséquences en seraient une relativisation des notions d’identité et d’unité, apparaissant seulement en tant que cas limites spécifiables dans le cadre d’une théorie générale de l’organisation. Selon lui, une telle théorie exige la constitution d’une catégorialité de l’être en tant que métastable: polymorphe, polyphasé, conflictuel, potentiellement générateur de structures, etc. «L’état originel de l’être est un état qui dépasse la cohérence avec soi-même, qui excède ses propres limites: l’être originel n’est pas stable, il est métastable; il n’est pas un, il est capable d’expansion à partir de lui-même; il est contenu, tendu, superposé à lui-même, et non pas un.»métastabilité [metastabilite] n. f.ÉTYM. V. 1930; de métastable.❖♦ Caractère d'un système chimique, d'un atome métastable.0 (…) l'équilibre stable, dans lequel tout potentiel serait actualisé, correspondrait à la mort de toute possibilité de transformation ultérieure; or, les systèmes vivants, ceux qui précisément manifestent la plus grande spontanéité d'organisation, sont des systèmes d'équilibre métastable; la découverte d'une structure est bien une résolution au moins provisoire des incompatibilités, mais elle n'est pas la destruction des potentiels; le système continue à vivre, à évoluer; il n'est pas dégradé par l'apparition de la structure; il reste tendu et capable de se modifier.Si l'on accepte d'apporter ce correctif et de remplacer la notion de stabilité par celle de métastabilité, il semble que la Théorie de la Forme puisse rendre compte des étapes fondamentales du devenir de la relation entre l'homme et le monde.Gilbert Simondon, Du mode d'existence des objets techniques, p. 163.
Encyclopédie Universelle. 2012.